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La décharge des clips du web intergalactique
4 novembre 2014

Lady Gaga au Zénith : le live !

Aller voir Lady Gaga en concert alors que j’étais en train de lire le nouvel opus des auteurs de L’Insurrection qui vient n’était peut-être pas la meilleure idée de cette fin de semaine. Avec le Pitchfork festival juste à côté, il était difficile de savoir qui allait . C’est surtout qu’en arrivant à 20h00, tout le public de Gaga était déjà rentré… depuis des heures. À quoi s’attendre, justement, en terme de public ?

Le public de Slayer, c’est facile : ça porte un treillis, des cheveux longs, et ça crie Slayer en buvant de la bière. Le public de Sepultura, c’est facile : ça porte un treillis, un T-Shirt de football, des dreadlocks, et ça crie “Sépoultoura” en buvant de la bière. Le public de Cannibal Corpse, c’est facile : ça porte un T-Shirt Cannibal Corpse et ça se fait foutre dehors de partout. Le public de Gaga ? Les premières personnes croisées, c’était une famille qui amenait sa fille de 11 ans voir sa star préférée. Enfin une famille. Les représentantes féminines de la famille, toute de paillette vétues. On ne savait pas si c’était la mère ou la grande soeur qui étaient le plus excitée, ou la petite. Je me suis assis, et dans l’heure suivante, j’ai eu tout loisir de scruter le public, car il fallait absolument que j’OUBLIE la musique : en effet, après qu’une DJ-ette survoltée ait pilonné la salle à coup de BPM, assez proche de ce que pouvait faire le Bloc-46 de Manu le Malin dans les années 1990, nous avons dû subir une bonne grosse demi-heure de mix Dub-Step. Mix est un grand mot ; Dub-Step aussi. On était au niveau zéro de la musique, une forme de torture mentale, et pour ceux qui connaissent mon goût consommé pour la musique de merde, c’est dire.

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À ma gauche, toute une série de tueurs en série hôchaient la tête. Gros, avec des lunettes, chauves, je me suis vraiment demandé pourquoi, entre les jeunes adolescentes hystériques et ces hommes en T-Shirt / short, j’étais la seule personne de plus de vingt ans, et de moins de soixante-cinq ans. Au moment où le mix dériva vers une version acid transe de Ice MC, nos amis de Marc Dutroux commencèrent à hôcher la tête avec conviction. Je me suis senti, pendant plusieurs minutes, dans une ambiance Vice Magazine. Et j’ai hésité à partir. L’ennui suintait des travées et de la fosse, où s’agglutinait une foule dense, mais clairsemée sur ses abords. De temps en temps, sur les deux écrans, apparaissaient le logo “artRAVE”, déclenchant un grognement collectif de plus en plus imperceptible. Normalement, on est censé, dans une première partie, faire monter la pression. Pas détruire toute motivation chez les fans.

Peu importe, et il fut alors possible de percevoir le degré de dévouement des fan-atiques de Gaga – les “petits monstres” (Little monsters). À peine la lumière s’était-elle éteinte que l’ensemble de la salle, sans exception, s’est levée en hurlant et dégainant son flingue moderne, le Smartphone qui permettrait d’immortaliser l’intégralité du show.

Un décor neigeux et étrange, des musiciens live, des danseurs… et puis, évidemment, se matérialisant sur une plateforme/ascenseur, Gaga. Dans une tenue totalement improbable, comme il se doit : des ailes en plume d’autruche, une robe en sequins dorés, des cheveux blonds.

DSCN4729

À partir de là, mes émotions se sont emmêlées dans une indéfinissable maelström.

Évidemment, face à un tel déluge d’effets visuels, sonores, corporels, je suis resté interdit. Me revenaient à l’esprit toutes les critiques les plus radicales de la société de consommation : Baudrillard et la société de consommation, Debord et le spectacle, la relecture de Murray de l’hyper-festif… Et effectivement, passée la première seconde, où un grand rugissement avait surgi de la foule lorsqu’elle s’était rendue compte que, oui, cette image désincarnée et mouvante de Gaga était réelle, il n’y eut plus rien. On pouvait partir : l’ensemble des soirées Youtube passées, solitaire, à regarder des clips d’une diva virtuelle devenaient, tout à coup, réelles. Gaga existe, et rien d’autre n’est important, je peux rentrer chez moi. Tellement d’attente, pour une jouissance si courte et si vaine. On touchait donc à la magie du spectacle, comme dernière production du capitalisme victorieux. Mais une magie évanescente. Toute ma haine du divertissement s’était réveillée, je me sentais mal, en me disant que ce genre de spectacle, ce genre de culture, n’était que le bras armé le plus efficace de l’aliénation du divertissement.

J’ai essayé de me raisonner évidemment, en me rappelant, que, dans la vie de tous les jours, la question est moins d’analyser en terme de divertissement/aliénation ou combat/émancipation, mais simplement : passer du bon temps, le reste du temps étant, ne l’oublions pas, sacrément stressant et merdique. Shake ton booty. Y.o.l.o, man.

Après trois ou quatre chansons, Gaga a arrêté la musique. Outre le fait qu’elle chante et danse elle-même, elle avait aussi des musiciens live, genre oui, une batterie, deux guitares, une basse, un clavier. De la musique en somme. C’était d’ailleurs assez drôle de voir les guitaristes – tatoués, habillés en blanc – s’énerver sur des rifs proche d’un bon vieux concert de Nickelback, en perdant une partie du public social-démocrate (musicalement).

Gaga arrête la musique. Dans un français sexy et parfait, elle nous dit : “Parisse. Je vous aime. Vous êtes beaux. Je vous adôôre.” Le Zenith exulte. Et elle se lance alors, entourée des deux guitaristes, et coiffée avec une moumoute qui me fait voir double (est-ce que c’est Amy Winehouse ressuscitée ?), dans une gros discours politique bien fat.

“Mes oailles, mes petits monstres ! Ce qui nous unit aujourd’hui, ce n’est pas que nous sommes habillés tous pareils : d’ailleurs, nous ne le sommes pas ! Ce qui nous unit aujourd’hui, ce n’est pas ça. Ce qui nous unit, et en vérité, je vous le dis, c’est que nous partageons la même vision de l’amour. Une vision de tolérance… Une vision qui s’oppose à la discrimination.”

À ce moment-là, outre le fait que je me dis que l’amour est le niveau le plus stupide – et inefficace – du message politique, je l’imagine se présenter pour le parti socialiste (ou l’UMP), car elle est tout de même plus cool que toute la clique. Elle continue.

“Et je veux vous le dire. Vous êtes tous des artistes [Prix de démagogie 2014, me dis-je]. Vous êtes des artistes. Et être un artiste, ce n’est pas avoir un putain de label, un putain d’agent, ou une production ! Jamais ! Je suis comme vous. J’ai composé artPOP, toute seule, dans mon appartement, comme vous, à New York [je me dis “viens vivre à Aubervilliers, voir si on est pareil”]. Seule, avec mon synthétiseur… et un verre”.

La boucle est bouclée : comme la seule chose qu’on peut faire quand il n’y a plus de travail, et plus d’action politique – notre chère société – c’est de faire de “l’art” (ou plutôt du lard), alors tout le monde est artiste. Et Gaga, d’asséner : “Quand j’ai écris Poker Face, je n’avais aucune idée que j’allais constituer… la fan base la plus solide et la plus mortelle du monde entier !”. [Applaudissements fournis].

La starlette lance alors : est-ce que vous voulez mes tubes ?

La foule délire.

“Est-ce que voulez Just Dance ?

La foule délire.

“Est-ce que vous voulez Telephone ? Alejandro ? Yoü and I ?”

La foule délire.

Le verdict tombe : “si vous êtes venus pour écouter mes hits, alors vous pouvez aller au bar boire un verre”.

Je commence à vraiment beaucoup, beaucoup l’aimer. À la trouver punk, dans la mesure où il peut exister des punks institutionnels du grand Capital, comme Marilyn Manson. Comme on dirait en anglais, she rocks ! Et outre le fait qu’elle a pris du poids et que ces fesses sont pleines de fierté, elle assume tout. Elle gueule : “je suis là parce que j’aime ce que je fais, parce que je m’éclate, et je prie pour que vous vous éclatiez aussi”.

Le reste est moins important : les changements de robes, les chorégraphies tellement années 1980, son style, sa voix… Elle est accessible, et c’est tout. Un jeune couple a lancé une lettre sur la scène, elle la prend et la lit. Ce petit couple du Sud de la France a eu le bon goût d’écrire en anglais. Il lui explique à quel point elle a compté dans leur rencontre ; à quel point le fait d’être des little monsters les a rapproché ; qu’ils ont découvert l’amour grâce à elle. Elle demande à allumer la salle. Demande qui a écrit la lettre. On voit le petit couple sur les écrans – incroyablement jeune. Ils pleurent commes des madeleines. C’est touchant. Dans l’arrière de mon crâne, je pense aux fans du groupe de néo-death-métal, Slipknot, qui s’appellent les maggots (les asticots), et qui pleureraient de la même manière en faisant un gros pogo, si d’aventure le chanteur Corey Taylor leur manifestait une forme d’attention.

Et ça y est. Je danse comme une pétasse, en chantat à tu-tête “Stop calling me, I don”t want to talk with you anymore…”. Ma soirée est réussie. Le meilleur du capitalisme m’a fait oublié – momentanément – la révolution. Le caractère grotesque du spectacle – qui mélange tout, intègre tout, broie tout, dans un tableau proche de Piscator, Mireille Matthieu, Dorothée et Alice aux pays des Merveilles – donne une forme de nausée tellement contenante qu’on croit presque au discours lénifiant de la communauté des Petits monstres. Ça ne vaudra jamais un bon gros vrai pogo où la communauté se fait en se foutant sur la gueule, torse-nu, en partageant plus que l’unique fait de tendre son smart-phone dans la même direction, vers la même star. Mais c’est déjà, pour un jeudi soir, pas si mal. 

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  • Avant Youtube, il y avait MTV. J'ai regardé tous les clips de l'histoire du monde et au lieu de pourrir mon entourage avec mes avis sur la question, je vais vous pourrir VOUS. Comme une soirée Youtube sans fin...
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